la nécessité d’un Code de gouvernance d’entreprise en Algérie
1.Le contexte algérien
La prise de conscience sur les enjeux de la gouvernance d’entreprise en Algérie a rapidement progressé, en étroite relation avec la question de la transition vers une économie de marché moderne et performante permettant de relayer, à terme, le secteur des hydrocarbures.
L’acuité de ce double défi est davantage accrue par celle du contexte international dans lequel il se situe. La poursuite accélérée des mutations planétaires et les interpellations qui en découlent pour la destinée nationale rendent urgent le saut qualitatif du monde des affaires et de l’entreprise vers l’excellence.
L’économie algérienne renferme un potentiel de croissance et de développement hors hydrocarbures considérable. Dans le but de le libérer, des réponses robustes sont nécessaires , certaines ayant commencé à se mettre en place ces dernières années, tels les importants investissements publics lancés en vue de renforcer les infrastructures, et certaines mesures réglementaires favorables à l’entreprise.
Il reste que les entreprises doivent elles-mêmes se mettre en position de garantir les conditions internes de leur performance, de drainer les financements et autres ressources rares dont elles ont besoin pour leur développement et de se donner la visibilité et la stabilité nécessaires à leur pérennité.
Toutes ces exigences passent par leur bonne gouvernance.
2. Entreprises concernées
D’une façon générale, toutes les entreprises algériennes sont concernées par les principes de bonne gouvernance. Cependant, le présent Code n’intègre pas les entreprises dont les capitaux sont intégralement étatiques et dont la problématique renvoie à une approche spécifique relevant notamment du bon usage des deniers publics.
Ce Code s’adresse de manière très particulière :
à la grande masse des PME privées. Celles-ci sont en quête de pérennité et ambitionnent de s’imposer comme base d’une économie de marché moderne et performante, et moteur du développement national ;
aux entreprises cotées en bourse, ou se préparant à l’être.
3. La PME privée comme cible prioritaire
De par sa population, sa contribution au PIB hors hydrocarbures et son poids dans l’emploi national, la PME privée algérienne occupe une position privilégiée dans l’économie nationale. L’attention qui lui est portée depuis quelques années par les pouvoirs publics témoigne de la place et du rôle qui lui sont dévolus dans le contexte des réformes actuelles.
Le portrait standard esquissé dans l’encadré ci-dessus sur la PME privée algérienne ne saurait occulter l’existence d’un petit nombre d’entre elles qui s’en démarquent par des avancées notables en termes de management et par le fait que les difficultés vécues sont celles de la croissance. Bien qu’encore très minoritaire, cette nouvelle génération de PME indique le chemin inéluctable que doivent emprunter les autres, existantes ou à créer. Dans les deux cas, la gouvernance y est de rigueur, mais elle se pose en des termes différents.
3.1. Les PME en proie à des difficultés de survie
Cette première catégorie d’entreprises, dont certaines sont en très grande difficulté, forme l’écrasante majorité des entreprises privées algériennes. Dans la quasi-totalité des cas, leur gestion, de type familial, est assurée directement et intégralement par leurs propriétaires qui parviennent, tant bien que mal, à les maintenir, au jour le jour, en état de fonctionnement. Ces entreprises se caractérisent par :
une capitalisation insuffisante qui ne leur permet ni de financer leurs activités, ni d’être éligibles à des crédits bancaires ;
une faiblesse et, souvent, l’absence de règles de gestion, ce qui compromet leur compétitivité et dissuade les banques de leur accorder des financements ;
une culture de fermeture sur l’expertise externe et les partenariats possibles, favorisée sans doute par une culture de l’autarcie due à leur structure familiale voire unipersonnelle ;
la difficulté à pérenniser leur existence au cours du processus de succession ou de transmission. Pour peu que le fondateur, qui cumule à la fois le statut d’actionnaire unique ou principal et le rôle de manager disposant de tout le pouvoir décisionnel, décède ou doive prendre sa retraite, c’est toute l’entreprise qui est perturbée.
3.2.Les PME en phase avec les défis de la croissance
Ces entreprises sont confrontées non pas à des problèmes de survie, mais à des problèmes de croissance. Elles sont parvenues à :
se hisser à des niveaux de capitalisation suffisant qui leur permettent de financer leurs activités et, au besoin, de lever des crédits auprès du système bancaire ;
mettre en place des standards et des règles de gestion formalisés, se traduisant par une transparence de leurs activités et une surveillance satisfaisante de leurs performances ;
faire passer la gestion à une« deuxième génération familiale » succédant aux fondateurs, faisant volontiers appel à de l’expertise externe, à des partenariats divers, et même à des actionnaires externes au premier noyau familial ;
atteindre des niveaux de compétitivité comparables ou proches de ceux qui prévalent à l’échelle internationale dans le secteur d’activité concerné ;
se doter d’une vision stratégique souvent consignée dans un business plan, et projeter leurs activités sur plusieurs années, indépendamment des changements possibles induits par des problèmes de succession ou de transmission.
Gouvernance et grands profils d’entreprises algériennes
PME familiale
Entreprises cotées en bourse (pour mémoire)
Génération 1 Entreprises en (très grande) difficulté de survie
Génération 2 Entreprises en phase avec les défis de la croissance
Poids relatif dans le monde des affaires
Majoritaire
Minoritaire
Faible
Enjeu principal de la gouvernance
Pérennité par la survie à court terme et quête de redressement
Pérennité par la stratégie à long terme
et quête de croissance
Logique spécifique de la démarche de gouvernance
Moment central de la mise à niveau
Phase de parachèvement
de la modernisation de la gestion
4. Les problèmes de la gouvernance d’entreprise en Algérie
L’état des lieux sur la gouvernance d’entreprise en Algérie mériterait d’être scientifiquement cerné par une enquête auprès d’un échantillon d’entreprises. Cependant, la situation en la matière est suffisamment connue pour qu’on puisse pointer d’emblée les principaux problèmes qui se posent en la matière.
4.1 Les problèmes globaux
La PME algérienne, dans son ensemble, est confrontée au spectre des quatre questions classiquement couvertes par la gouvernance. Mais elle les vit différemment selon qu’elle soit préoccupée par sa survie ou par sa croissance.
Les problèmes globaux de la gouvernance selon les deux grandes générations de PME
PME en proie avec des difficultés de survie
PME en phase avec les défis de la croissance
Les relations entre les parties prenantes
les propriétaires de l’entreprise étant eux-mêmes ses gestionnaires, les deux positions se trouvent souvent confondues et l’opacité qui en résulte s’étend naturellement aux relations avec les tiers.
La différenciation entre propriétaire et gestionnaire est relativement mieux cernée, même si les deux fonctions sont cumulées. La qualité des relations avec les autres parties prenantes en découle.
La véracité des résultats de l’entreprise
La faiblesse des règles de gestion ne permet pas d’établir avec certitude l’exactitude du résultat de l’entreprise.
L’existence de règles de gestion permet de mieux cerner le résultat de l’entreprise, mais la question de la véracité de ce résultat peut se poser.
Les situations de transmission et de succession
Les problèmes de transmission et de succession ne sont pas, en général, anticipés et lorsqu’ils surgissent, l’entreprise se retrouve engluée dans des situations inextricables qui peuvent aller jusqu’à la mettre en péril.
Les problèmes de transmission et de succession sont mieux anticipés mais leur traitement, ne manque pas de perturber le fonctionnement de l’entreprise.
L’articulation stratégie - intérêts de l’entreprise
L’entreprise n’est pas en mesure de se projeter dans le futur. Son intérêt se résume à assurer sa survie au jour le jour.
L’entreprise est en mesure de se doter d’une stratégie, mais l’articulation étroite avec ses intérêts mérite d’être confortée et affinée.
4.2 Les problèmes spécifiques
Ces problèmes concernent à des degrés divers l’ensemble des PME :
Comment améliorer la relation banque entreprise ? :
Il s’agit d’un problème très général. De nombreuses entreprises se plaignent d’accéder difficilement au crédit bancaire. Pour leur part, les banques déplorent le plus souvent une faiblesse des fonds propres de l’entreprise ou des comptes (historiques ou prévisionnels) ne reflétant pas sa réalité économique. La gouvernance d’entreprise met l’accent sur la sincérité des comptes, leur correspondance à une réalité économique, et un accroissement de la lisibilité de l’entreprise par le partenaire banquier, que se soit de manière historique ou prévisionnelle.
Comment attirer des investisseurs externes au noyau initial souvent familial ?
La recherche de partenaires externes au noyau d’actionnaires initial, souvent familial, pose le plus souvent un problème de méfiance réciproque. Il n’y a pas encore en Algérie une accumulation suffisante d’expériences réussies d’ouverture de capital et de sociétés plurielles au sens du capital. Cette méfiance se pose en particulier pour les potentiels actionnaires minoritaires qui se méfient de ne pouvoir disposer de droits de contrôle suffisants sur la gestion de la société. Les propriétaires des entreprises se doivent de définir les conditions adéquates de mise en confiance des investisseurs externes et de préservation de leurs droits.
Comment établir une relation de confiance avec l’administration fiscale ?
L’entreprise algérienne, privée en particulier, a vu se développer au cours du temps, une relation de méfiance avec l’administration fiscale. De nombreux chef s d’entreprises sont cependant convaincus de la nécessité d’une relation assainie et sereine avec cette administration. L’effort de transparence et de sincérité des comptes en est un élément primordial et permettra à l’entreprise de construire son avenir de manière plus sereine, en contrepartie des mesures d’appui que peuvent prendre les pouvoirs publics.
Comment clarifier les relations entre actionnaires ?
De nombreuses entreprises connaissent des conflits internes entre actionnaires, donnant à la notion « d’association » une connotation négative. Pourtant, l’association, acte de société, est un passage obligé pour l’entrepreneur qui veut grandir. Il est vital pour la croissance de l’entreprise de définir les règles de conduite entre les actionnaires et notamment en matière de droits, obligations, et de protection des actionnaires minoritaires.
Comment clarifier les relations entre actionnaires et managers non actionnaires ?
L’admission de managers exécutifs, non actionnaires, et de surcroît non membres du noyau familial fondateur, crée une situation nouvelle dans de nombreuses entreprises. Cette situation pose des problèmes de confiance, de prérogatives, de rémunérations, et se caractérise par une instabilité relativement importante de l’encadrement dirigeant non actionnaire ou non issu du noyau familial.
La clarification des relations entre les actionnaires et les dirigeants nécessite de définir des structures : conseil d’administration ou de surveillance, comités directeurs et autres.
Comment clarifier les responsabilités dans l’équipe exécutive ?
De nombreuses entreprises souffrent de la dilution des responsabilités ou de leur excessive concentration : ces situations portent les germes de crises internes et de conflits, autant au sein de l’équipe exécutive qu’entre cette dernière et les actionnaires (que ces derniers occupent des postes exécutifs ou non). L’adoption de règles de gouvernance doit permettre une meilleure définition des responsabilités exécutives, notamment par la mise en place d’une organisation, d’un organigramme, la précision des prérogatives et le partage judicieux des fonctions.
Comment régler les problèmes de succession ?
De nombreuses entreprises ne peuvent pas dépasser l’écueil de la disparition du fondateur, pour diverses raisons dont :
le manque de préparation des héritiers ;
des situations patrimoniales floues ;
l’absence de structures internes permanentes et la concentration des pouvoirs.
Il s’agira de prévoir un certain nombre de mécanismes écrits et non écrits portant sur :
l’intégration et la responsabilisation progressive des propriétaires de seconde génération appelés à prendre les rênes de l’entreprise ;
prévoir les mécanismes de transmission les plus à mêmes de préserver le patrimoine de l’entreprise ;
pérenniser les structures opérationnelles et stratégiques, notamment par l’introduction de compétences externes au noyau familial ;
définir des modalités de cession de l’entreprise à l’extérieur du noyau familial.
Toute entreprise est susceptible de vivre de manière originale et unique des problèmes de gouvernance. Il appartient à chacune de procéder à son auto évaluation en la matière et de prendre les dispositions nécessaires, en s’inspirant des dispositions proposées dans la seconde partie du présent Code et de la boîte à outils figurant en annexe.